2009, « OMBRES ERRANTES »

 F.M. : Cette série qui fait suite aux Leçons de Ténèbres, emprunte, elle  aussi, son titre à  une pièce de Couperin : les Ombres Errantes , est-ce un simple hasard ?

M.G. : L’ émotion à l’écoute de ce mouvement descendant, plutôt plaintif, m’a entraîné dans des errements picturaux. Ces ombres portées, je les ai vues, flottantes, puis figées par l’image silencieuse de la peinture, par l’arrêt, à la surface même du tableau, de l’objet dont elles sont l’empreinte. La référence à Couperin n’a pas pour seule raison un fort affect. Couperin me fascine par la délicatesse de son sentiment poétique porté aux nues par une parfaite maîtrise intellectuelle . Dans cet équilibre, il se soumet à des règles, et, de ces contraintes il conquiert sa liberté créatrice.  Certains ont vu dans l’art moderne l’élimination totale de contraintes sans s’apercevoir qu’il en instaurait d’autres (p.e. la tradition de la nouveauté, soulignée par Harold Rosenberg, le rejet dogmatique d’un travail sur la signification lors de la création ou de la perception).

F.M. : La structure des Ombres Errantes est donc très proche de la série précédente les Leçons de Ténèbres. Une même topographie propre à la série mais plus tourmentée, plus accidentée toutefois que la précédente, « mapée » différemment selon les errements suspendus « les Silences », les pauses ou arrêts sur image. Comment ne pas songer aux vers de Dante dans la Divine Comédie, cités par Ernst Gombrich ?

 » Il faut parler à votre esprit

parce qu’il apprend du seul sensible

ce qu’il rend ensuite digne d’intellect »

 M.G. : Je me sens très proche de la pensée de Gombrich quand il aborde ces notions de perception et de signification. Ce sont pour moi des « matériaux mentaux » qui constituent les fondations de mes mondes plastiques.

 F.M. : Lorsqu’il nous dit que « la notion de signification n’est pas une notion psychologique, mais qu’elle doit être mise en rapport avec les institutions culturelles et sociales« , cette pensée trouve-elle un écho dans vos toiles ?

M.G. : Prenons le cas du Premier Silence : à la surface de la toile, soulignant la platitude du tableau, sont collées des actions bancaires qui jouent un rôle spatial voisin des collages de textes de journaux dans certaines compositions de Braque et Picasso. J’ai choisi des actions des chantiers navals de La Pallice, Delmas Vieljeux, pour des raisons personnelles. Mais la surface peinte de la topographie inidentifiable, qui supporte les ombres portées, est une invention tirée de mes travaux ultérieurs. Objet énigmatique comme le titre de la pièce de Couperin.

« Regarder un tableau, dit Gombrich, c’est construire des hypothèses puis les mettre à l’épreuve« . Cette activité qu’il prête au regardeur participe aussi de la démarche créatrice. Il le suggère d’ailleurs assez clairement quand, reprenant le mot de Ruskin, il affirme « qu’il n’y a pas d’œil innocent » ( à commencer par celui de l’artiste) et que « ce n’est pas en regardant mais aussi en pensant, que l’artiste crée des représentations picturales« . Peu importe le caractère de ces représentations ( réalistes, naturalistes ou abstraites ).

Le formalisme de Greenberg ou de Susan Sontag (« montrer ce que c’est plutôt que montrer ce que cela signifie » en dénonçant  « la chimère de l’existence d’un contenu dans une œuvre d’art « ) est une impasse dont nous savons désormais qu’elle a anéanti en partie la critique d’art contemporaine et éloigné le public de problématiques dont il aurait pu parfaitement saisir la pertinence artistique.

F.M. : Peut-on dire que le rapport de certains éléments de vos toiles sont non seulement en rapport avec les institutions culturelles et sociales de notre temps mais abordent aussi des aspects politiques ?

M.G. : Il m’arrive de jouer à interpréter, après coup, certaines de mes réalisations (lors de la fabrication, tant de choses échappent à la conscience). La problématique du faux participe peut-être de cette dimension politique dont vous parlez. Dans les Ombres Errantes le troisième silence, l’objet collé à la surface de la toile est aussi une petite toile peinte, un faux grossier, « à la manière de », d’un artiste chinois, très en vogue sur le marché aujourd’hui. Ce faux acheté pour quelques euros en Chine est ici détérioré, maltraité, une sorte de devoir déontologique en quelque sorte, salutaire, appliqué à une contrefaçon grossière. Je m’amuse avec cela.

Après avoir remarqué que, au sol dans la ville, les plaques de fonte du « SERVICE DES EAUX DE LA VILLE » peuvent par simple disparition du jambage horizontal inférieur du « E » devenir SERVICE DES FAUX DELA VILLE, j’en ai fabriqué un tampon pour marquer les fausses images. Bien sûr,  les perceptions et les interprétations de ces processus peuvent différer considérablement en fonction des attentes, du vécu, des convictions, des préjugés, des intérêts privés de chacun.

C’est là justement, qu’une œuvre, par son ouverture, devient digne d’intérêt. Une anecdote à ce sujet : je me souviens de la réaction indignée d’un spectateur. Ce brillant sinologue, peut-être nostalgique d’une Révolution Culturelle si attentive à la liberté d’expression, ce critique d’art averti, puisque adepte du jugement de goût infaillible, se fit un devoir de dénoncer aux services culturels de la ville les honteux et dangereux barbouillis présentés, aussi « nuls » que « scandaleux ». Voilà bien la preuve qu’à défaut d’une réflexion esthétique un peu élaborée, une création plastique peut aussi révéler des idiosyncrasies particulières…

FM :   comme pour les plaques de fonte, une simple rencontre fortuite peut déboucher sur une proposition plastique. Parmi la multitude de clichés de l’environnement urbain, vous rapprochez « LIVRAISONS » peint sur le bitume des rues, d’une enseigne « PHOTO » sur un mur. Il vous suffit de jouer sur le cadrage pour mettre en lumière le télescopage « VRAI PHO ». Cela n’est pas sans rappeler une certaine pratique : celle du « rapprocheur d’images« , Raymond Hains ?

 MG : J’ai pour Raymond Hains une profonde admiration. Il fut un des premiers artistes présentés sur La B@lise. Malheureusement pour des raisons de droits, la parution sur le Web n’eut pas lieu. Mes emprunts à certains artistes qui m’ont beaucoup donné, sont parfois inconscients au début, comme dans la toile Vrai-FO de la série « Bouillons« . Mais je reconnais volontiers une certaine filiation maintenant, comme je pourrai peut-être le préciser à propos de cette toile.

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