Entretien conduit par Françoise Misbert nov 2011
FM La série AFTER, soit une douzaine d’œuvres, reprend la structure habituelle d’ une seule et même topographie qu’épousent des surfaces picturales différentes. Cette suite ne serai-elle pas une forme d’hommage adressé à des artistes qui vous ont marqué ? Une façon aussi de faire le point, de vous situer par rapport à eux ?
MG La traduction d’AFTER est ambiguë. après ou d’après conviennent sans pour autant signifier la même chose ; Quand Howard Hodgkin intitule une de ses œuvres After Morandi, la traduction qui semble s’imposer est Après Morandi. On sait l’importance que Hodgkin donne à l’épaisseur du temps : il lui faut parfois plusieurs années pour « conclure », souvent d’un geste pictural fulgurant, une pièce commencée plusieurs années auparavant suite à un déclic émotionnel. Après indique ici une succession dans la durée, en continuité ou en rupture.
Le After Watteau de Lucian Freud traduit par d’après Watteau sur les cartels de la retrospective de Beaubourg, souligne plutôt une filiation ou une source d’inspiration. Hommage appuyé puisque cette démarche implique que la leçon de peinture du grand Watteau reste pertinente, voire universelle.
Dans la série AFTER les deux acceptions sont présentes parfois même simultanément : hommage et rupture.
FM Justement : à propos de AFTER Howard Hodgkin, s’agit-il d’un hommage ou d’une manière de dire que la page est tournée, que l’art contemporain a d’autres centres d’intérêt que ceux d’un art rétinien perçu par certain comme post-impressionniste ?
MG L’art de Hodgkin me comble toujours autant depuis plusieurs décennies. J’admire sa capacité à traduire aussi intensément l’émotion d’un instant en termes picturaux décantés avec le temps, excluant tout ce qui n’est pas absolument nécessaire plastiquement. AFTER Howard Hodgkin est bien un hommage. Je me suis inspiré au départ d’une de ses oeuvres. Une libre citation anamorphosée par la topographie commune à tous les AFTER, métaphore de mes conditionnements perceptifs, et dont l’ombrage du moment oblitère la lisibilité.
FM Une certaine allusion au monde visible est perceptible ici sous la forme de cette « étendue naturelle qui tourne comme une toupie sous le fouet du soleil » pour reprendre l’image de S. Beckett. Ce jeu des ombres et des lumières sur ce territoire par monts et par vaux est bien celui du monde qui nous entoure. Il contextualise l’objet pictural, et vient ainsi troubler l’arrogante autonomie de la peinture.
MG Oui, ma proposition, quand je commence cette toile, est surtout une question posée à la perception ? cette perception conditionnée par de multiples facteurs dont certains « naturels » comme le déplacement des rayons du soleil selon les heures. Un ordre immuable, incontournable qui organise notre perception visuelle du réel dans un mouvement imperceptible dans l’immédiat . Ces conditions « naturelles » s’ajoutent ici d’une manière métaphorique à l’objet culturel au point de le brouiller. Ce n’est pas une affirmation conceptuelle. C’est l’expérience sensible de ce brouillage que propose cette pièce AFTER Howard Hodgkin.
FM Ce « brouillage » opéré sur l’image n’empêche pas dans AFTER Marcel Duchampde percevoir la représentation d’objets. Pourquoi un tel parti pris figuratif qui rompt avec l’abstraction des autres pièces ?
MG Cette toile est née d’une succession de rapprochements plastiques et conceptuels. Plusieurs années auparavant, j’avais été intrigué par le « spectacle » d’un vieux tuyau de plomb et un robinet dans une cavité creusée d’un pilier de porche de la vieille ville. Ce tuyau, mal en point, et son robinet, couverts d’une épaisse peinture blanche (à moins qu’il ne s’agisse d’oxyde ou blanc de plomb), n’aboutissaient nulle part. Le tout était hors d’usage, abandonné, oublié.
C’est assez récemment, en pensant à Duchamp, que la métaphore s’est imposée. Bien sûr, le blanc de plomb c’était la peinture même. Comment ne pas faire le rapprochement avec l’art rétinien et sa condamnation ? Il s’agissait peut-être d’un ready-made hautement symbolique, charge symbolique produite par mon propre regard. L’art rétinien K.O, le regardeur qui fait l’œuvre, voilà bien les thèses qui m’avaient tant marqué à une époque antérieure (au point de m’éloigner un temps de la peinture).
Je n’avais pas à intervenir, pour ainsi dire : l’image est ici presque une réplique de la cavité, son tuyau à gaz et son robinet. Impossible aussi de ne pas relier tout cela à l’intérêt de Duchamp pour le gaz de ville. La plaque émaillée gaz de ville à tous les étages vient donc flotter en avant-plan et porter ombre sur le back-ground. C’est un faux ready-made, fait main, d’une plaque de bois peinte : Coup d’œil affectueux au maître et quelque peu critique cependant.
FM Vous décrivez un processus où la sensibilité s’articule sur la réflexion et une certaine logique positiviste. Ne sommes-nous pas plutôt dans le schéma de la création ex-nihilo, étincelle venue de nulle part qui s’impose hors de tout contrôle de la conscience ?
MG Que la sensibilité et la pensée visuelle soient étroitement liées est pour moi une conviction qui pèse sur mon activité. Je me méfie énormément de ce que Nelson Goodman désigne avec humour comme la théorie de l’Immersion-Titillante*. L’art, pour moi, n’est pas une donnée de nature. Les arts (mieux vaut parler au pluriel) sont de purs produits de l’animal historique que nous sommes. La dimension historique de l’art ne peut pas être écartée par une simple décision qui implique croyance(s) ou idéologie(s). Sans entrer dans les débats complexes qui agitent les spécialistes autour de la notion d’histoire de l’art, on peut penser qu’un artiste, même s’il œuvre dans une relation avec le vécu, dans l’immédiateté, est lui aussi le produit de l’épaisseur du temps. L’artiste contemporain, aujourd’hui, se fait à la fois critique et acteur au sein de cette historicité. L’œil innocent a-t-il seulement existé ? Chez l’enfant ou le primitif même, on peut en douter. Chez l’adulte, soumis au jet continu du robinet d’images, de la médiatisation, de l’accélération vertigineuse de la circulation des informations, et du mythe de l’ubiquité renforcé par les moyens actuels de communication, encore plus.
FM L’un de vos travaux AFTER_Paul-Virilio est dédié à un auteur qui n’est pas un peintre. Pourquoi ce choix ?
MG Paul Virilio, philosophe très au fait, justement, des bouleversements contemporains, sociologue, urbaniste est aussi un plasticien comme en témoigne l’Église Sainte-Bernadette à Nevers et sa conception, avec Claude Parent, de l’architecture oblique. Après avoir lu » l’art à perte de vue » j’ai ressenti le besoin de faire le point par rapport à la situation de l’art que décrit Paul Virilio entre l’Art-lumière en route vers le devenir-musique de l’image télévisée et l’art-matière de la plasticité. Mais plutôt que d’aborder cet enjeu sous l’angle de la pure réflexion intellectuelle, j’ai essayé d’envisager la confrontation matériellement, plastiquement.
J’avais été déjà tenté par une démarche assez proche pour AFTER_Merleau-Ponty à propos du paradoxe de la profondeur en peinture (« je la vois et elle n’est pas visible », in L’OEIL et l’ESPRIT). D’où le miroir à la place du récurrent carré évidé qui avance vers nous, portant ombre sur la topograhie à l’arrière plan, alors que le miroir semble « creuser le plan matériel de la toile tout en reflétant pourtant l’image de ce qui se trouve en avant de la toile.
* Notes de FM
« … La vénérable théorie de l’Immersion-Titillante qui nous enseigne que le comportement approprié, lorsqu’on aborde une œuvre d’art, consiste à nous défaire de tous vêtements de savoir et d’expérience (puisqu’il pourrait émousser l’immédiateté de notre jouissance) puis à nous y engloutir totalement et à jauger la puissance esthétique de l’œuvre par l’intensité et la durée de la titillation qui en résulte. La théorie est manifestement absurde et n’est d’aucune utilité pour traiter aucun des problèmes importants de l’esthétique ; mais elle s’est incorporée à l’édifice de notre sens commun » (Langages de l’art, Nelson Goodman).
L’Immersion-Titillante attribuée à Immanuel Tingle et Joseph Immersion est un calembour de Goodman pour tourner en dérision la théorie de l’empathie émotionnelle attribuée à deux auteurs imaginaires. (Jacques Morizot)
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