INFOGRAPHIE

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FM :, Comment est né votre intérêt pour l’infographie?

MG : L’infographie… tout d’abord , de quoi s’agit-il ? Les vocables ne manquent pas: computer art, art cybernétique, art technologique ou techno-art, art électronique, art informatique, art des technologies de l’information et de la communication, art virtuel, infographie 2d, 3d, art de la simulation, nouvelles images , technimages, multimédia, art numérique, etc. Cette diversité de termes traduit déjà une certaine difficulté  à définir un champ artistique bien délimité. L’infographie est pour moi l’art qui est issu du traitement numérique de l’image, fixe ou animée, en 2 ou 3 dimensions.
Ce qui m’a séduit au milieu des années 80 c’est l’extraordinaire « transversalité » du Numérique. « La technologie du numérique est transversale  à la quasi-totalité des techniques, à tous les médias, à tous les modes de diffusion et de circulation des informations » (Couchot). Sur le plan pédagogique le multimédia était une mine inépuisable, associant images (fixes ou animées) texte et son ( musique, parole) dans une transversalité sans hiérarchie qui offrait effectivement de nouvelles expériences perceptives.

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FM:   La maîtrise technique ne présentait-elle pas un pouvoir de fascination qui risquait de reléguer les préoccupations artistiques au second plan ?

MG : Très vite se sont plutôt les inépuisables potentialités artistiques qui m’ont étonné. Puis je me suis efforcé de bien distinguer le côté pédagogique de l’expression artistique personnelle. Un point déterminant, me semble-t-il, fut la prise de conscience de ce que les théoriciens appellent l’hybridation réel-virtuel. Quelle ne fut pas ma surprise quand après avoir travaillé plusieurs années sur le néo-platonisme en architecture, je vivais l’expérience décrite par E.Couchot :  » …on construit des modèles à partir du réel, en créant des analogons purifiés par le calcul, mais le réel se trouve à son tour transformé par le virtuel et ses puissants outils, alors que chez Platon les modèles préexistent au réel de toute éternité…Le virtuel ne peut se réduire au seul simulacre ou à une simple dé-réalisation. S’il dé-réalise, c’est pour mieux réaliser, et recréer du réel. »*

FM : La perception naturelle ne serait qu’une part de notre relation à la réalité ? Mais n’est-ce pas au travers de ce « vieux » vecteur de communication qu’est la peinture que ce phénomène d’hybridation a retenu votre attention ?

MG : Tout à fait ! La réalité, je ne sais pas ce que c’est. La peinture, par contre (je me borne à la peinture occidentale) je connais un peu mieux. Cette image « suspendue » dans le temps, peut-elle au sein même de sa substance picturale, « longtemps envisagée comme simple présentation sensible d’un contenu que seul le langage était capable d’articuler abstraitement » (Morizot) peut-elle s’associer à cette hybridation pour, dans une nouvelle mise à l’épreuve symbolique, participer à cette recréation, ce new « worldmaking ».

* »Il me paraît indispensable en premier lieu que le critique reprenne en considération la technique. La dé-spécification de l’art depuis Duchamp – n’importe quel matériau, n’importe quelle technique peuvent être utilisés à des fins artistiques – a habitué le critique à ne plus attacher d’importance à la technique. Or, quand les artistes manipulent une technique (plus exactement une techno-logie) aussi complexe et aussi décisive pour nos sociétés que le numérique, il n’est pas pensable qu’un critique, voir un esthéticien, ignore, non pas le détail des processus technologiques littéralement  » mis en oeuvre » par les artistes, mais les principes fondamentaux régissant ces processus… Cet intérêt porté sur le faire (qui s’imposait déjà au siècle dernier pour redéfinir avec rigueur le jugement sur l’art) s’avère nécessaire pour établir la différence entre ce qui relève de la maîtrise technique pure et ce qui relève de l’  » imagination créatrice », pour reprendre l’expression de Baudelaire.« Edmond Couchot : « La critique face à l’art numérique : une introduction à la question » , L’université des arts, Séminaire Interarts de Paris 1999-2000, Klincksieck 2001

Sous le pictural, l’image numérique
   Quelques précisions sur le processus : la topographie 3D virtuelle est construite à partir d’une grille plane constituée de lignes susceptibles de subir des déformations par déplacement dans les trois dimensions. Sur cette surface de creux et de bosses est projetée une image au choix, numérisée à l’aide d’un scanner ou d’un appareil photo numérique. La « mise en plis » de la grille par déplacement des points de tension des lignes (splines) imprime à l’image plaquée sur la surface, des déformations qui peuvent être contrôlées à tout moment.
La situation dans l’espace de l’œil de l’observateur, le placement, l’intensité et la nature des sources lumineuses peuvent être déterminés en wisiwig (what i see is what i get) et presque en temps réel.
La Sixième Leçon de Ténèbres, par exemple, a pour origine,  une œuvre abstraite réalisée dans les années 90 sur ordinateur. La gestuelle y joue un rôle expressif important.
L’image numérique en 2D a été projetée sur un relief virtuel en 3D qui l’a ainsi déformée . Des découpes planes, positionnées en avant du relief, rappellent, en portant ombre sur lui, le plan matériel de la toile tendue. L’image obtenue sur le moniteur est ensuite transposée manuellement en peinture sur la toile.
Pourquoi ne pas opter pour un simple agrandissement selon la technique de l’impression numérique grand format ? La production peinte n’est-elle pas dès lors une reproduction manuelle dénuée de sens ?  Les courbes ne peuvent plus conserver la spontanéité du geste « naturel » qui les a fait naître sur l’écran plat. Cette transposition relève de la simulation. La relation directe de la trace picturale au geste qui l’engendre est désormais factice et procède de la re-présentation.
Quelles peuvent donc être les intentions qui animent cette peinture qui semble s’ancrer dans une certaine tradition gestuelle qu’elle ne fait que mimer ? La peinture devient son propre objet d’investigation et se fait ici image du pictural. Le pictural n’est plus accessible ici qu’en « différé » : métaphore de la perte de cette« spontanéité naïve à l’innocence heureuse », de l’authenticité du sentir et de la sincérité du faire à l’ère du monde-image, de la simulation et du virtuel comme sources envahissantes de notre imaginaire ?

zouave

 

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